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IPTV, streaming illicite, piratage sportif, étude de l’ARCOM

En mai 2025, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) publie un rapport qui sonne comme une alarme discrète mais persistante : la consommation illicite de retransmissions sportives en France ne faiblit pas. En dépit de mesures de blocage de plus en plus musclées, d’une sensibilisation grandissante et d’une offre légale pléthorique, près d’un Français sur cinq âgé de plus de 15 ans déclare avoir eu recours à des canaux illégaux pour suivre des compétitions sportives en direct au cours de l’année 2024.

Un chiffre stable depuis fin 2023, mais inquiétant dans un contexte où les ayants droit, les diffuseurs, les pouvoirs publics et les clubs voient s’effriter les fondements économiques du sport professionnel.

Le sport en clair, les infractions en tête

Le sport reste l’un des derniers bastions du direct télévisuel, un moment collectif qui fédère au-delà des générations et des milieux sociaux. Pourtant, à mesure que les droits de diffusion se morcellent entre plateformes et chaînes payantes, un segment significatif de la population opte pour des chemins parallèles.

Selon l’étude, 18 % des Français déclarent avoir consommé des contenus sportifs en direct de manière illicite en 2024, une proportion quasi identique à celle relevée en décembre 2023. Parmi eux, 11 % utilisent à la fois des sites de streaming illégaux et des services d’IPTV illicite via boîtiers ou applications, tandis que 6 % se limitent au streaming illégal et 2 % à l’IPTV uniquement.

Ce piratage se concentre surtout sur certains sports : le football, en tête de liste, attire 70 % des consommateurs illicites, bien loin devant le basketball (28 %), la boxe (21 %) ou encore le MMA (15 %). La Coupe d’Afrique des Nations, très suivie dans l’Hexagone, détient le triste record avec 17 % de son public accédant aux contenus de façon illégale. Le sport est devenu un terrain d’affrontement numérique, où les flux pirates concurrencent les abonnements officiels dans une guerre de visibilité et d’accessibilité.

Un profil clair : jeune, urbain, souvent déjà abonné

Derrière ce phénomène se dessine un profil sociologique désormais bien connu. Les consommateurs illicites sont majoritairement masculins (61 %), jeunes (52 % ont moins de 35 ans) et résident pour près de 60 % dans des zones urbaines de plus de 20 000 habitants. Plus surprenant peut-être, 60 % d’entre eux déclarent parallèlement être abonnés à au moins une offre légale de sport, souvent Canal+, beIN Sports ou DAZN. Ce constat souligne un paradoxe : le piratage n’est pas forcément le fait d’individus en rupture économique, mais aussi d’abonnés frustrés par la dispersion des compétitions sur différentes plateformes.

L’IPTV illégale, en particulier, connaît une recrudescence de nouveaux utilisateurs. 41 % des usagers de ces services ont commencé à en faire usage en 2024, contre 26 % l’année précédente. La souplesse technique de ces solutions, souvent préinstallées sur des boîtiers vendus anonymement en ligne ou via des forums, séduit un public prêt à contourner la légalité pour obtenir une offre perçue comme « complète », incluant plusieurs compétitions étrangères et nationales pour un tarif dérisoire.

Économie souterraine, pertes colossales

Si l’Arcom s’inquiète, ce n’est pas uniquement pour des raisons éthiques. Le piratage sportif constitue une saignée financière majeure pour l’écosystème du sport français. Selon des estimations croisées avec les acteurs du secteur, le manque à gagner annuel s’élève à 290 millions d’euros pour les détenteurs de droits et les diffuseurs, soit près de 15 % du marché global de la diffusion sportive. Ce chiffre ne tient même pas compte des pertes indirectes pour les clubs amateurs, les sponsors ou encore les recettes fiscales.

À cela s’ajoutent 420 millions d’euros de pertes fiscales et sociales pour l’État, conséquence directe de cette économie parallèle qui échappe à toute régulation. Les plateformes illicites, souvent basées hors de France, utilisent des techniques sophistiquées pour échapper à la surveillance, depuis les VPN jusqu’aux DNS publics alternatifs, ce qui complique l’action des autorités.

L’Arcom contre-attaque : blocages, coopérations, ripostes

Depuis 2022, l’Arcom s’est dotée d’un arsenal juridique plus musclé. En 2024, 3 797 blocages de noms de domaine ont été réalisés, dont 2 028 concernant des sites de live streaming et 1 769 des plateformes d’IPTV, soit une hausse de 146 % par rapport à 2023. Ces actions sont rendues possibles par l’article L. 333-10 du Code du sport, qui permet à l’Arcom, en lien avec les FAI et les DNS publics, de rendre l’accès à ces services techniquement impossible en France.

Mais l’efficacité de ces mesures reste nuancée. Selon l’étude, 32 % des utilisateurs de streaming illégal ont été confrontés à un blocage, chiffre en hausse de 5 points. Toutefois, 71 % des personnes concernées déclarent avoir finalement renoncé à poursuivre leur tentative, ce qui laisse entrevoir un potentiel réel de dissuasion. Parmi eux, 46 % abandonnent dès le premier blocage, tandis que 23 % cherchent une autre source illégale, 22 % tentent de contourner les restrictions, et seulement 10 % migrent vers une offre légale.

Une stratégie du « mix » : légal + illégal

L’étude met en lumière un phénomène de plus en plus courant : la mixité des usages. Beaucoup de Français alternent entre légal et illégal, selon le sport, l’événement, la plateforme ou encore les contraintes techniques. Ce public « hybride », souvent jeune, abonné à des services légaux mais insatisfait de l’offre morcelée, constitue une cible stratégique pour les acteurs du secteur.

Ce comportement reflète une forme de rationalisation économique. Plutôt que de cumuler cinq abonnements pour suivre le football européen, certains préfèrent compléter une offre Canal+ ou beIN Sports par des flux illégaux ponctuels. Cette logique opportuniste échappe aux dispositifs classiques de lutte contre le piratage, car elle s’inscrit dans une zone grise : ces consommateurs ne se considèrent pas nécessairement comme fraudeurs.

L’offre légale face à l’effet « patchwork »

Un des enseignements majeurs du rapport est que la lutte contre l’IPTV ne saurait se résumer à une logique de répression. L’offre légale actuelle, bien qu’abondante, souffre d’un éclatement des droits qui pousse les fans à chercher des solutions globales ailleurs. Le football, par exemple, est éclaté entre la Ligue 1 sur Amazon Prime (jusqu’en 2023), les compétitions européennes sur Canal+ et RMC Sport, la Premier League sur Canal+, la Serie A et la Bundesliga sur beIN, sans parler des plateformes spécifiques comme F1 TV ou UFC Fight Pass.

Résultat : même un spectateur de bonne volonté se heurte à un labyrinthe tarifaire, où chaque abonnement donne un accès partiel aux compétitions. L’utilisateur lambda, confronté à ce millefeuille, trouve dans l’IPTV illégale une forme de réponse simplifiée, intégrée, à un coût réduit, souvent 5 à 10 € par mois.

L’IPTV comme symptôme d’un modèle à bout de souffle ?

En filigrane, le rapport interroge le modèle même de financement du sport via les droits de retransmission. Ce système, qui a permis la professionnalisation du secteur et la montée en puissance des clubs européens, semble aujourd’hui montrer ses limites. Les jeunes générations, natives du numérique, manifestent un rapport plus fluide à la propriété des contenus. Pour elles, le direct n’est plus un impératif, et l’idée de payer pour plusieurs abonnements distincts apparaît souvent comme anachronique.

Il devient donc urgent, pour les diffuseurs et les ayants droit, de repenser l’offre. Une plateforme unique agrégée, un pass multisport, ou encore des formules flexibles à la carte pourraient constituer des pistes d’avenir. Le retour sur investissement de ces solutions pourrait s’avérer supérieur à celui des campagnes de répression seules.

Étude de l’ARCOM sur l’IPTV – Illustration Freepik

Tableau récapitulatif de l’état des lieux de l’IPTV en France

IndicateurDonnées 2024
Taux de consommation illicite du sport18 % des Français de 15 ans et plus
Part combinée streaming + IPTV illégaux11 %
Utilisateurs uniquement streaming illicite6 %
Utilisateurs uniquement IPTV illégale2 %
Profil majoritaire des utilisateurs illicitesHomme, -35 ans, urbain, actif
Sports les plus piratésFootball (70 %), Basket (28 %), Boxe (21 %), MMA
Compétition la plus piratéeCoupe d’Afrique des Nations (17 % de son public)
Manque à gagner annuel pour le sport290 millions €
Pertes fiscales et sociales pour l’État420 millions €
Blocages de noms de domaine réalisés par l’Arcom3 797 (hausse de 146 %)
% des utilisateurs confrontés à un blocage32 % (dont 43 % chez les nouveaux utilisateurs)
% de ceux qui renoncent après un blocage71 %
% des consommateurs illicites aussi abonnés légalement60 %
Âge moyen des utilisateurs IPTV illicite récents35 ans
Tableau récapitulatif de l’état des lieux de l’IPTV en France

Source utilisée pour cet article et le tableau

Que retenir ?

La photographie livrée par le dernier baromètre de l’Arcom est implacable : la consommation illicite de contenus sportifs en direct s’enracine durablement dans les habitudes d’une partie des Français. Derrière les chiffres – 18 % de spectateurs hors des clous, 290 millions d’euros de manque à gagner pour le sport, 420 millions envolés pour les finances publiques – se profile une crise plus profonde, presque systémique, qui dépasse la simple question de la légalité. Elle interroge l’adéquation entre l’offre construite par les ayants droit et les attentes d’un public devenu hyper-connecté, exigeant, pressé de tout avoir, tout de suite, au moindre coût.

La popularité croissante de l’IPTV illégale, en particulier chez les jeunes, illustre un double échec : celui de la pédagogie d’une part – trop peu d’utilisateurs perçoivent encore la gravité juridique et les risques associés à ces pratiques – et celui de la structuration commerciale de l’accès au sport d’autre part. Fragmentée, dispersée sur des plateformes multiples, souvent hors de prix pour les moins favorisés, l’offre légale peine à convaincre ceux qu’elle devrait séduire : les fans. Quand on doit cumuler quatre ou cinq abonnements pour suivre une saison de football européenne, que reste-t-il de la promesse d’un sport populaire, universel, rassembleur ?

L’expérience utilisateur

Certes, les outils de l’Arcom – blocages DNS, déréférencements, coopérations renforcées avec les FAI – produisent des effets tangibles. Une part importante des consommateurs illégaux, confrontés à des blocages, renonce. Mais cette efficacité technique, aussi nécessaire soit-elle, ne répond pas à la question centrale : pourquoi tant de Français préfèrent-ils encore contourner les règles plutôt que de s’y conformer ? La réponse ne se trouve pas uniquement dans les chiffres, mais dans l’expérience utilisateur. Tant que l’offre légale ne se montrera pas aussi simple, complète et accessible que l’illégal, les lignes ne bougeront qu’à la marge.

La bataille contre l’IPTV illicite ne se gagnera donc ni avec les seuls pare-feux, ni avec les injonctions morales. Elle exigera un changement d’approche stratégique. Cela suppose un dialogue inédit entre les détenteurs de droits, les diffuseurs, les pouvoirs publics et les consommateurs eux-mêmes. Il faudra inventer un modèle plus fluide, plus lisible, capable de répondre aux usages contemporains sans brader la valeur du sport.

Car à force de laisser les flux pirates grignoter les revenus officiels, c’est l’équilibre même du sport professionnel – et par ricochet celui de tout le tissu associatif – qui vacille. Il y a urgence à agir, non plus seulement contre les symptômes, mais sur les causes structurelles. La modernisation du cadre légal ne suffira pas sans une refonte profonde de l’offre, pour que le sport, enfin, devienne aussi simple à consommer légalement qu’il ne l’est illégalement aujourd’hui.

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Digital RP

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