Pourquoi les marques multiplient les formats propriétaires
L’univers de la technologie est truffé de formats propriétaires. Du connecteur de charge à l’encodage audio, de la vidéo aux logiciels, tout semble conçu pour fonctionner uniquement dans un écosystème donné. Pourtant, à l’ère de l’interopérabilité et des standards ouverts, cette stratégie peut sembler à contre-courant. Pourquoi les grandes marques comme Apple, Sony, DJI ou GoPro continuent-elles de développer des formats propriétaires ? Qu’y gagnent-elles ? Et qu’en est-il pour les utilisateurs ? Une immersion dans les rouages d’une stratégie bien plus complexe qu’il n’y paraît.
Des formats propriétaires omniprésents
Qu’il s’agisse du connecteur Lightning d’Apple, du format vidéo .insv utilisé par Insta360, du codec LDAC de Sony ou encore des chargeurs magnétiques spécifiques de certaines montres connectées, les exemples sont innombrables. À chaque innovation technique, son format maison. Cette prolifération touche tous les domaines : recharge, transfert de fichiers, lecture audio, montage vidéo, synchronisation des données, affichage… Rien n’y échappe.
L’audio est un terrain particulièrement fertile. Les formats comme le FLAC, l’ALAC, le LDAC, l’AAC ou le Dolby Atmos sont utilisés selon les marques et leurs appareils. Dans la vidéo, les caméras d’action, les drones et les caméras 360 produisent souvent des fichiers encapsulés dans des formats peu standards, incompatibles sans logiciel dédié. Côté recharge, malgré la généralisation de l’USB-C, certaines marques persistent avec des connecteurs magnétiques ou des protocoles propriétaires comme MagSafe ou VOOC.
Une stratégie commerciale bien rodée
Derrière cette multiplication, il y a une logique économique évidente. En créant un format propriétaire, une marque enferme le consommateur dans un écosystème. Acheter un iPhone implique souvent d’acheter des câbles Lightning, des écouteurs compatibles, voire un Mac pour synchroniser facilement ses fichiers. C’est ce qu’on appelle le “vendor lock-in” : une forme de dépendance à la marque, qui rend plus coûteux ou plus contraignant un changement d’environnement technologique.
Mais ce n’est pas seulement une question de domination commerciale. Les formats propriétaires permettent aussi à une entreprise de contrôler l’expérience utilisateur de bout en bout. Un codec audio développé en interne peut être optimisé pour les composants maison, réduisant la latence, augmentant la qualité ou limitant la consommation d’énergie. Même chose pour les formats vidéo, qui peuvent intégrer des métadonnées spécifiques utiles pour le montage ou la stabilisation.
Des performances parfois supérieures aux standards
Certaines marques justifient leurs formats maison par des besoins techniques que les standards ouverts ne permettent pas de satisfaire. Le codec LDAC de Sony offre ainsi un débit trois fois supérieur à celui du SBC standard, améliorant la restitution audio sur ses casques haut de gamme. Insta360 encapsule ses vidéos dans des fichiers .insv pour conserver les données de stabilisation, de gyroscope et de capteur. DJI encode ses rushs de drone dans des formats spécifiques pour intégrer les informations de vol (vitesse, altitude, GPS), qui peuvent ensuite être exploitées dans ses logiciels maison.
Dans le domaine de la recharge, les fabricants ajoutent parfois des couches de sécurité ou de régulation thermique, impossibles avec un simple USB-PD standard. C’est notamment le cas du VOOC de Oppo ou du WarpCharge de OnePlus, qui permettent de charger un smartphone à 100 % en moins de 30 minutes. Ces performances sont rendues possibles par une combinaison de protocoles logiciels et de circuits électroniques dédiés.
Un frein à la compatibilité et à la durabilité
Mais ces avantages techniques ont un coût pour l’utilisateur. Les formats propriétaires posent souvent des problèmes de compatibilité. Transférer un fichier .LRV de GoPro ou .INSV d’Insta360 vers un logiciel de montage non dédié peut s’avérer difficile, voire impossible. Un chargeur rapide VOOC ne fonctionnera pas à pleine puissance avec un smartphone d’une autre marque. Et un casque audio conçu pour tirer parti du codec LDAC n’aura pas le même rendu sur un appareil qui ne le prend pas en charge.
Au-delà de la frustration, cela peut avoir des conséquences écologiques et économiques. Un câble inutilisable sur un nouveau téléphone, une batterie qui chauffe avec un chargeur non adapté, ou des fichiers vidéo illisibles au bout de quelques années sont autant de freins à la durabilité des appareils électroniques. Et face à la pression réglementaire, comme l’Union européenne l’a montré avec l’obligation d’un port USB-C universel, certains formats propriétaires sont voués à disparaître ou à devenir des options facultatives.

Un tableau de quelques formats propriétaires emblématiques
Domaine | Format propriétaire | Marque(s) principale(s) | Objectif / Fonction | Limite principale |
---|---|---|---|---|
Recharge | Lightning | Apple | Connecteur compact pour iPhone | Incompatible avec USB-C, abandon progressif |
Recharge | MagSafe | Apple | Recharge sans fil magnétique optimisée | Accessoires coûteux, pas universel |
Audio | LDAC | Sony | Codec haute qualité pour Bluetooth | Pas pris en charge sur tous les appareils |
Audio | ALAC | Apple | Codec audio sans perte | Compatible uniquement avec certains logiciels |
Vidéo | INSV | Insta360 | Conteneur vidéo avec métadonnées stabilisées | Incompatible avec logiciels tiers |
Vidéo | LRV | GoPro | Fichier léger pour aperçu | Illisible hors GoPro Quik |
Recharge | VOOC / WarpCharge | Oppo / OnePlus | Recharge ultra rapide | Nécessite chargeur et câble spécifiques |
Connectivité | AirDrop / Handoff | Apple | Transfert fluide dans l’écosystème Apple | Inaccessible aux utilisateurs Android / PC |
Vers un futur plus ouvert ?
Les choses évoluent lentement. La pression des consommateurs et des régulateurs pousse les marques vers plus d’ouverture. L’USB-C s’impose peu à peu, le codec AAC devient un standard minimal sur la plupart des smartphones, et certains formats propriétaires sont progressivement abandonnés. Les utilisateurs réclament de la simplicité, de la compatibilité, de la transparence.
Mais tant que les avantages commerciaux et techniques restent supérieurs aux désavantages pour les marques, la logique du format propriétaire persistera. Le vrai enjeu, désormais, est de trouver un équilibre entre innovation technologique, stratégie d’entreprise et respect de l’utilisateur final. Dans cette bataille silencieuse entre ouverture et verrouillage, chaque choix technologique est aussi un choix politique.
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