Identité numérique
À la fin des années 1990, posséder une adresse e-mail suffisait pour accéder à la majorité des services numériques. En quelques années, cette simple exigence a été remplacée par une logique d’identification constante : aujourd’hui, presque chaque usage numérique nécessite un identifiant centralisé. L’internaute est contraint de créer un compte sur Google, Apple, Facebook, Microsoft ou Amazon pour accéder à ses appareils, consulter ses mails, acheter en ligne ou même discuter avec ses proches. Ces identifiants ne sont plus de simples adresses électroniques, ils deviennent des passeports d’accès à l’univers numérique.
Le phénomène s’est accéléré avec l’émergence du smartphone, qui exige une connexion à un compte constructeur pour fonctionner pleinement. Sans identifiant Apple, un iPhone devient quasi inutilisable. De même, sans compte Google, un téléphone Android perd l’accès au Play Store, aux mises à jour de sécurité et à la géolocalisation. La société moderne est devenue totalement dépendante de ces identifiants pour exister numériquement.
Cette omniprésence des identifiants se retrouve dans la quasi-totalité des services numériques courants : consulter un compte bancaire, gérer une box Internet, commander un repas, écouter de la musique, organiser une réunion professionnelle ou réserver un billet de train. Tous ces actes exigent la création d’un compte personnel. Même des services publics, comme les impôts, l’assurance maladie ou l’école en ligne, nécessitent un identifiant sécurisé.
Pire encore, certains services obligent désormais à utiliser des identifiants tiers, comme le « Se connecter avec Google » ou « Continuer avec Facebook ». Ces raccourcis facilitent la vie de l’utilisateur mais le privent de son autonomie numérique. En centralisant l’authentification, ces plateformes obtiennent une vue d’ensemble sur les activités en ligne de chacun, accentuant la logique de profilage comportemental et de publicité ciblée.
Il est encore possible, en théorie, de vivre sans identifiant numérique. Cela suppose cependant un niveau de technicité élevé, une volonté forte de se marginaliser numériquement, et souvent une perte de confort majeure. Certaines personnes adoptent des systèmes alternatifs : téléphones sous Linux sans Google, boîtes mail chiffrées comme ProtonMail, navigation via Tor ou Brave, stockage local sans cloud, services libres (PeerTube, Mastodon, Nextcloud…). Mais ce choix nécessite un investissement important, à la fois en compétences techniques et en temps.
Même les applications de messagerie chiffrée comme Signal ou Threema, pourtant reconnues pour leur respect de la vie privée, demandent un identifiant : souvent un numéro de téléphone ou une adresse mail. Et pour acheter une carte SIM ou un accès Internet, une pièce d’identité est désormais obligatoire. L’anonymat numérique est donc devenu une quête de plus en plus difficile, voire irréaliste pour le grand public.
Les objets connectés aggravent encore cette dépendance. Une montre intelligente, une caméra de sécurité ou un assistant vocal ne fonctionnent qu’une fois reliés à un compte constructeur. La domotique domestique (thermostats, éclairage, alarmes…) exige également une authentification continue sur les plateformes des fabricants. Sans compte Google, Apple ou Amazon, la maison connectée devient aveugle, sourde et muette.
Cette centralisation par l’identifiant unique rend la vie pratique mais enferme l’utilisateur dans un écosystème verrouillé. Quitter son compte, c’est perdre l’accès à tous les services associés. Cette contrainte agit comme une barrière psychologique : beaucoup préfèrent accepter la surveillance implicite plutôt que de perdre la commodité numérique.
Usage numérique courant | Possible sans identifiant ? | Alternatives libres ou anonymes |
---|---|---|
Accès à un smartphone moderne | Non | /e/OS, GrapheneOS (Android sans Google) |
Naviguer sur Internet | Oui, partiellement | Tor Browser, Firefox avec extensions |
Messagerie instantanée | Rarement | Session, Briar, Threema (avec pseudonyme) |
Écouter de la musique ou podcasts | Non | Radios libres, sites de streaming anonymes |
Visionner des vidéos | Oui, difficilement | PeerTube, VLC avec flux directs |
Effectuer des achats en ligne | Non | Paiement en liquide local uniquement |
Accéder à ses services administratifs | Non | FranceConnect obligatoire |
Réseaux sociaux et forums | Non | Fediverse, Mastodon (souvent avec mail) |
Utiliser une application mobile | Non | F-Droid (catalogue alternatif sans Google) |
Services de santé, école, impôts | Non | Connexion via identifiants d’État |
Cette logique de dépendance n’est pas fortuite : elle découle d’une stratégie de design dite « connectée par défaut ». Les grandes entreprises conçoivent leurs services pour être inutilisables sans authentification. Cela leur permet de collecter des données, de proposer des services personnalisés et surtout de fidéliser l’utilisateur. Une fois intégré dans un écosystème, il est difficile de changer : les contacts sont synchronisés, les documents sont stockés dans le cloud, les mots de passe sont sauvegardés, les habitudes sont enregistrées.
Cette « prison douce » est rendue acceptable par la fluidité de l’expérience utilisateur. Tout est plus rapide, plus simple, plus intuitif… mais aussi plus intrusif. Refuser cette logique, c’est accepter d’avoir un smartphone qui ne fonctionne qu’à moitié, de renoncer à certaines applications populaires, et parfois d’être perçu comme marginal.
Il est devenu quasiment impossible de vivre pleinement à l’ère numérique sans utiliser un identifiant centralisé. Qu’il s’agisse de Google, Apple, Facebook ou Microsoft, ces identifiants sont devenus des passeports indispensables pour accéder aux outils numériques, aux services de base, et même à certains droits civiques ou sociaux. Si quelques alternatives existent, elles demandent une expertise technique et une volonté de renoncer à une grande part de confort.
Cette situation interroge notre rapport à la liberté numérique. Devons-nous accepter cette dépendance comme le prix à payer pour la modernité ? Ou faut-il encourager une réflexion collective sur le droit à l’anonymat, la décentralisation des services et la maîtrise de nos données ? La réponse, bien qu’encore floue, s’écrit chaque jour à mesure que de nouveaux services renforcent la nécessité d’un identifiant numérique unique.
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