Notre mémoire numérique
Nous vivons dans une époque où tout semble être enregistré. Les photos que nous postons, les vidéos que nous diffusons, les conversations que nous tenons en ligne… tout paraît figé dans un espace virtuel infini, prêt à être consulté pour toujours. Mais cette impression d’immortalité numérique est trompeuse.
L’histoire récente du web regorge d’exemples de données disparues : forums fermés, sites web effacés, comptes supprimés, documents devenus illisibles faute de compatibilité technique. Même les géants d’internet, que l’on croit indestructibles, ne garantissent pas la conservation éternelle de ce qu’ils hébergent.
Dans 50 ans, l’humanité pourrait se retrouver avec un trou béant dans sa mémoire collective. Non pas par manque de contenu, mais par incapacité à le préserver. Les archives numériques de 2025 pourraient être aussi fragmentaires que les manuscrits médiévaux que l’on conserve aujourd’hui : précieux, mais incomplets.
Si un livre imprimé sur papier acide au XIXe siècle peut encore se lire aujourd’hui, un fichier numérique, lui, est lié à des supports et formats qui vieillissent beaucoup plus vite.
L’histoire de l’informatique est jalonnée de supports aujourd’hui introuvables ou inutilisables. Les disquettes 3,5 pouces, omniprésentes dans les années 1990, ne peuvent plus être lues par aucun ordinateur moderne sans matériel spécialisé. Les CD-ROM, qui semblaient indestructibles à leur sortie, se dégradent en réalité au bout de 10 à 20 ans.
Même les supports récents, comme les SSD et cartes mémoire, souffrent d’une usure physique : leurs cellules de stockage ont un nombre limité d’écritures avant de perdre en fiabilité. À cela s’ajoute le risque d’altération magnétique ou électrique avec le temps.
Ainsi, un document stocké aujourd’hui sur un disque dur laissé dans un tiroir pourrait être irrécupérable en 2075, à moins qu’il ne soit transféré régulièrement sur des supports plus récents.
Conserver un fichier, ce n’est pas seulement sauvegarder des octets : c’est aussi s’assurer que, dans 50 ans, un logiciel saura encore l’ouvrir. Les formats propriétaires sont les plus menacés, car ils nécessitent un programme spécifique pour être lus. Si l’entreprise qui détient ce format ferme ou abandonne son produit, la compatibilité disparaît avec elle.
C’est le cas, par exemple, de nombreux fichiers produits avec des logiciels de graphisme ou de bureautique des années 1990, aujourd’hui illisibles sans passer par des émulateurs ou des convertisseurs spécialisés. Un risque qui touche autant les documents que les vidéos, musiques et jeux vidéo.
Contrairement à l’idée reçue, stocker ne coûte pas « rien ». Les data centers qui abritent nos photos et vidéos consomment énormément d’électricité, produisent de la chaleur qu’il faut dissiper, et doivent être entretenus.
Pour optimiser leurs coûts, certaines entreprises suppriment volontairement des contenus jugés obsolètes ou peu consultés. Ce phénomène s’est illustré récemment avec la suppression massive de vidéos anciennes sur YouTube ou de vieux comptes inactifs sur diverses plateformes sociales.
La mémoire numérique collective repose largement sur les serveurs d’entreprises privées, qui ne sont pas tenues par un devoir de préservation patrimoniale.
Lorsqu’une plateforme ferme ses portes ou change de modèle économique, c’est parfois toute une époque qui disparaît. Le cas de MySpace, en 2019, est emblématique : à la suite d’une migration ratée, près de 50 millions de chansons et photos ont été perdues à jamais, effaçant une décennie de culture musicale indépendante.
D’autres exemples incluent la fermeture de Google+, qui a supprimé des millions de pages et de discussions, ou celle de Yahoo! GeoCities, qui hébergeait des millions de sites personnels créés dans les années 1990.
Les entreprises gèrent les données selon un critère économique, pas historique. Si un contenu ne génère pas de revenus, il est plus exposé au risque de suppression.
Dans un futur où les coûts énergétiques seront encore plus surveillés, il est probable que seules les données jugées « rentables » ou « stratégiques » seront conservées, laissant de côté tout un pan de la production culturelle et sociale.
Face à ces menaces, plusieurs projets, publics ou privés, tentent de sauvegarder notre patrimoine numérique.
Créée en 1996, cette organisation à but non lucratif a pour mission de capturer et stocker des copies de pages web, via la Wayback Machine. Aujourd’hui, elle contient plus de 800 milliards de pages sauvegardées, ainsi que des millions de livres, fichiers audio, vidéos et logiciels anciens.
Cependant, elle ne peut pas tout archiver : le contenu dynamique, les vidéos en streaming, ou les publications sur des plateformes fermées restent difficiles à capturer.
Plusieurs pays ont lancé des programmes pour conserver les documents administratifs, journaux, émissions et contenus culturels en ligne. En France, par exemple, la BnF archive certains sites internet depuis 2006. Mais cette mission dépend de budgets publics qui peuvent être revus à la baisse selon les priorités politiques.
Des passionnés, souvent regroupés en associations ou forums, se chargent de numériser et stocker des contenus menacés : jeux vidéo rétro, revues techniques, sites historiques.
Ces initiatives sont précieuses, mais elles reposent sur des moyens personnels limités et sont vulnérables aux pannes, pertes ou problèmes juridiques liés aux droits d’auteur.
Aspect | Forces actuelles | Faiblesses à long terme |
---|---|---|
Accessibilité | Accès instantané à des milliards de contenus | Dépendance à internet et aux serveurs actifs |
Capacité | Stockage massif et abordable aujourd’hui | Coûts énergétiques et matériels croissants |
Partage | Diffusion mondiale immédiate | Risque de censure ou suppression arbitraire |
Préservation | Projets comme Internet Archive, bibliothèques numériques | Obsolescence des formats et supports |
Sécurité | Sauvegardes multiples possibles | Pannes, cyberattaques, négligence humaine |
Nous vivons dans une ère où l’information circule plus vite que jamais, mais où sa disparition peut être tout aussi rapide. Le paradoxe est que nous produisons une quantité inédite de données… tout en les rendant plus fragiles que jamais.
Si rien n’est fait, nos descendants risquent de ne voir de notre époque qu’une image déformée et partielle.
Préserver cette mémoire collective implique d’utiliser des formats ouverts, de multiplier les sauvegardes sur différents supports et de soutenir les initiatives d’archivage public et communautaire. L’avenir de notre histoire numérique dépend des choix que nous faisons aujourd’hui.
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