La guerre des formats vidéo regardons le MP4
Depuis deux décennies, le format MP4 s’impose comme le langage universel de la vidéo numérique. Compatibilité, légèreté, efficacité : il semblait indétrônable. Pourtant, les innovations technologiques, les exigences de diffusion en très haute définition et la montée en puissance du streaming bouleversent cet équilibre. Dans les laboratoires, les ingénieurs misent désormais sur des codecs plus performants, plus écologiques et plus ouverts. La question n’est plus de savoir si un successeur au MP4 existera, mais quand et sous quelle forme il s’imposera.
La longue domination du MP4
Né au tournant du millénaire, le MP4 a été conçu comme une réponse aux besoins de la vidéo numérique émergente. Il a rapidement remplacé le vieillissant AVI grâce à une meilleure compression sans perte visible de qualité. Son adoption par Apple, puis par YouTube et les plateformes sociales, en a fait un standard incontournable. Chaque smartphone, chaque téléviseur connecté, chaque navigateur web le reconnaît nativement, ce qui lui confère une puissance d’universalité rare dans l’histoire des formats numériques.
Cette domination s’explique par un compromis presque parfait entre efficacité et accessibilité. Le MP4 repose sur la norme MPEG-4 Part 14, elle-même dérivée des travaux du consortium MPEG. En intégrant des codecs comme H.264 ou AAC, il permet de stocker vidéo et audio dans un même conteneur léger. Les créateurs peuvent ainsi diffuser facilement leurs œuvres sur Internet, sans craindre d’incompatibilités. Pourtant, cette simplicité cache un revers : la dépendance à des brevets, des licences, et une technologie désormais vieillissante face à la 4K, la 8K et la réalité virtuelle.
Les limites techniques du MP4
Avec l’explosion de la définition des images, les besoins de compression se sont radicalement transformés. Là où le MP4 offrait un équilibre suffisant pour la HD, il se montre aujourd’hui limité pour la 8K, les flux HDR ou les environnements immersifs. Chaque pixel supplémentaire augmente le poids du fichier et le temps d’encodage. Cette lourdeur impacte la vitesse de diffusion, la bande passante nécessaire et la consommation énergétique des serveurs.
Le MP4 reste un format dit “avec pertes” : il élimine certaines informations visuelles pour alléger le poids des vidéos. Cette stratégie fonctionne à l’œil nu, mais elle atteint ses limites dans les productions professionnelles, où chaque nuance de couleur ou de contraste compte. Les créateurs vidéo, les monteurs et les studios cherchent désormais des formats capables de préserver la richesse visuelle sans exploser la taille des fichiers. D’autres formats, plus récents et plus intelligents, ont donc émergé, remettant en question la suprématie du MP4.
L’essor du HEVC, successeur logique ou impasse ?
Le HEVC (High Efficiency Video Coding), aussi connu sous le nom H.265, fut présenté comme l’héritier naturel du H.264, et donc du MP4. Il promettait une compression deux fois plus efficace, une qualité supérieure et une meilleure gestion de la 4K et de la 8K. En théorie, le HEVC répondait à toutes les attentes des créateurs et des diffuseurs. En pratique, il s’est heurté à une réalité juridique et économique complexe : les brevets.
Contrairement au MP4, déjà couvert par des licences bien établies, le HEVC dépend d’un grand nombre de détenteurs de droits. Chaque entreprise, de Samsung à Dolby, possède une partie du codec. Les plateformes de streaming comme YouTube ou Netflix ont dû verser d’importantes sommes pour l’utiliser légalement, ce qui a freiné son adoption généralisée. Certains fabricants ont préféré se tourner vers des alternatives libres de droits, comme le VP9 ou l’AV1, afin de réduire leurs coûts et d’assurer une diffusion mondiale sans contraintes légales.
Le pari ouvert du format AV1
Créé par l’Alliance for Open Media, regroupant des géants tels que Google, Amazon, Meta, Microsoft et Netflix, le format AV1 est né d’une ambition claire : offrir un standard moderne, libre de droits et économe en bande passante. Son objectif est de remplacer progressivement le MP4 et le HEVC dans le streaming haute définition. L’AV1 se distingue par une compression 30 à 50 % plus efficace que le H.264, tout en maintenant une qualité d’image comparable, voire supérieure.
Techniquement, il s’appuie sur des algorithmes de prédiction spatiale et temporelle plus sophistiqués, ce qui réduit les redondances entre les images. Les plateformes de streaming qui l’ont adopté constatent une baisse de la consommation de bande passante, un gain écologique et une meilleure expérience pour l’utilisateur final, notamment sur les connexions faibles. Cependant, l’AV1 demande une puissance de calcul importante pour l’encodage, ce qui retarde sa généralisation dans les appareils mobiles et les caméras.
ableau comparatif des principaux formats vidéo
Format | Année | Efficacité de compression | Licence | Compatibilité | Usage principal | Sources |
---|---|---|---|---|---|---|
MP4 (H.264) | 2003 | Moyenne | Sous licence MPEG LA | Universelle | Web, mobile, grand public | ISO / MPEG |
HEVC (H.265) | 2013 | Élevée (+40 %) | Payante, multiples brevets | Moyenne | 4K, 8K, pro | ITU / Fraunhofer |
VP9 | 2014 | Bonne (+30 %) | Libre | Forte (YouTube, Chrome) | Streaming | |
AV1 | 2018 | Très élevée (+50 %) | Libre | En croissance | Streaming HD / 8K | AOMedia |
ProRes | 2007 | Faible compression | Payante | Apple | Production / montage | Apple Inc. |
DNxHD | 2009 | Faible compression | Payante | Avid | Postproduction | Avid Technology |
Le rôle des plateformes de diffusion
Les plateformes de streaming jouent un rôle central dans cette guerre des formats. YouTube, par exemple, a adopté le VP9 dès 2014 pour réduire ses coûts de bande passante. Netflix, quant à lui, expérimente massivement l’AV1, avec une adoption progressive sur les téléviseurs connectés et certains smartphones Android. Apple, fidèle à son écosystème, mise encore sur le HEVC, notamment pour les iPhone et les Mac, où le codec est optimisé matériellement.
Ces choix influencent directement le marché. Lorsqu’une plateforme mondiale modifie son format de diffusion, cela impose des adaptations aux fabricants de caméras, de logiciels d’édition et de lecteurs multimédias. Cette interconnexion crée un effet domino : un changement de codec peut redéfinir toute une industrie. Ainsi, la fin du MP4 ne dépend pas uniquement des progrès techniques, mais aussi d’un équilibre politique et économique entre acteurs.
Les contraintes écologiques et énergétiques
L’enjeu ne se limite plus à la qualité visuelle ou à la taille des fichiers. Aujourd’hui, chaque heure de vidéo en ligne représente une empreinte carbone mesurable. Le MP4, bien qu’efficace à son époque, engendre une consommation énergétique plus importante que les codecs modernes. Les géants du streaming, conscients de leur responsabilité environnementale, investissent dans des technologies capables de réduire cette empreinte sans dégrader l’expérience utilisateur.
Le format AV1 s’inscrit dans cette logique : moins de bande passante utilisée signifie moins de serveurs mobilisés, donc moins d’énergie consommée. À grande échelle, la différence devient considérable. Ce facteur écologique pourrait, à terme, accélérer la transition vers les codecs libres et durables. Dans un monde où les gouvernements imposent des objectifs de sobriété numérique, le MP4 pourrait devenir un symbole d’une époque révolue : celle du numérique sans contrainte énergétique.
Les formats professionnels : qualité avant tout
Dans le domaine du cinéma et de la télévision, le MP4 n’a jamais été le roi. Les professionnels lui ont toujours préféré des formats comme ProRes (Apple) ou DNxHD (Avid), plus lourds mais sans pertes notables. Ces codecs visent avant tout la précision du rendu, la gestion des couleurs et la stabilité en postproduction. Les fichiers générés sont volumineux, mais parfaitement adaptés aux chaînes de montage haut de gamme.
Les différences entre ces formats et le MP4 illustrent bien la fracture entre le grand public et les professionnels. D’un côté, la recherche de légèreté et de compatibilité ; de l’autre, l’exigence d’intégrité visuelle. La guerre des formats n’est donc pas seulement technique : elle reflète aussi deux visions du numérique, celle du partage rapide et celle de la création exigeante.
La perspective d’un monde sans MP4
Peut-on réellement envisager un monde sans MP4 ? Techniquement, oui. Économiquement, pas encore. La majorité des appareils en circulation continuent d’utiliser ce format par défaut. Les caméras de sport, les smartphones d’entrée de gamme et les plateformes sociales enregistrent encore majoritairement en MP4 pour garantir la compatibilité universelle. La transition prendra donc du temps, car elle implique une refonte des infrastructures logicielles et matérielles.
Pourtant, la tendance est claire : les nouveaux codecs comme AV1, soutenus par les plus grandes entreprises du numérique, gagnent du terrain. Dans dix ans, il est probable que le MP4 devienne un format “héritage”, encore lu mais progressivement abandonné au profit de standards plus écologiques, plus efficaces et plus ouverts. Cette mutation ne marquera pas une rupture brutale, mais une lente érosion, comparable à celle du MP3 face au streaming audio en FLAC ou AAC.
Que retenir : la fin annoncée d’un géant
Le MP4 a marqué une époque, celle de la démocratisation totale de la vidéo numérique. Son succès tient autant à sa simplicité qu’à sa compatibilité mondiale. Mais à mesure que la technologie progresse, ce qui fut un atout devient une contrainte. L’avenir des formats vidéo se dessinera autour de trois axes : l’efficacité énergétique, l’ouverture des licences et la qualité visuelle extrême.
Les acteurs du numérique convergent déjà vers un écosystème sans brevets, fondé sur la collaboration ouverte. L’AV1, et peut-être son futur successeur, le VVC (Versatile Video Coding), incarneront cette nouvelle ère. Dans ce futur proche, le MP4 ne disparaîtra pas totalement ; il deviendra le symbole d’un âge d’or du numérique, celui où la vidéo a conquis le monde. Et comme souvent dans la technologie, ce n’est pas la fin d’un format, mais le début d’une nouvelle génération.
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